Vivant… Mort… Mort-Vivant…

Sam se savait condamné.

Comment avait-il pu être si négligeant en allant relever ses collets ? Le zombie l’avait surpris tandis qu’il se penchait sur le lapin pris dans son piège. Les morts-vivants se faisaient rares dans la région, il en avait exterminé la plupart depuis le début de la fin du monde. Mais de temps à autre, une menace claudiquait jusqu’à lui.

Il vivait reclus dans une baraque forestière, et avait créer un havre de paix pour survivre dans cet enfer. Son potager lui fournissait les légumes nécessaires à sa survie et la pose de collets l’approvisionnait en viande. Des chausse-trapes sur tout le périmètre le protégeaient des intrusions de zombies, mais également de pillards. Cependant, il n’avait eu à composer qu’une seule fois avec ces barbares en trois ans : son isolement de la civilisation, ou ce qu’il en restait, représentait sa meilleure défense. Enfin, un bunker sous sa cahute lui assurait un dernier refuge.

Mais plus rien de tout ça ne comptait.

La morsure à l’épaule ne le faisait pas tant souffrir, pas plus qu’une plaie ordinaire. Mais les bords de la blessure commençaient déjà à se nécroser, prenant une teinte verdâtre et dégageant une horrible odeur de pourriture.

Sam consignait sa vie dans ce monde apocalyptique depuis le début et se rappelait avoir écrit la promesse de ne jamais se changer en zombie. Comme cela lui semblait si lointain.

Assis dans sa cuisine, son revolver chargé à la main, il contemplait son salut avec dégout. Des larmes tombaient sur le canon, coulaient le long de la crosse et humidifiait sa main déjà moite. L’angoisse grandissait à mesure qu’il savait son temps compté. Un mélange de rage et de terreur accompagnait un intolérable sentiment d’injustice.  

Pourquoi ? Pourquoi lui ? Pourquoi comme ça ?

Son épaule s’engourdissait à mesure que l’infection se propageait. La solitude l’écrasa de sa réalité. Il vivait seul depuis des années, mais aurait troqué n’importe quoi en cet instant pour un peu de compagnie.

Son cerveau jouait les montagnes russes entre la colère et le désespoir. Il frappait sur la table comme pour conjurer la situation, avant de s’effondrer devant son irréfutabilité. Il allait mourir. Une unique question tournait à présent dans son esprit. Allait-il laisser cette contamination le dévorer ou aurait-il le courage de la vaincre avant qu’elle ne gagne. Chaque fois qu’il se fichait le canon du révolver dans la bouche, ou contre sa tempe, il se sentait incapable d’appuyer sur la gâchette, maudissant son instinct de survie, et sa peur de la mort. Pourtant elle se rapprochait, chaque minute, chaque seconde. Elle le guettait sous les traits d’une silhouette en décomposition qui n’avait plus qu’une seule fonction : manger de la chair vivante.

Soudain, son estomac et ses intestins se tordirent violemment et il rendit son repas dans la douleur. Le renvoi fut si puissant qu’il vacilla, proche de l’évanouissement. Il se concentra pour ne pas tomber dans les pommes, et accessoirement dans le dégueulis dont il venait de badigeonner sa cuisine.

Combien de temps lui restait-il ?

Il se sentait à présent fiévreux. Était-ce bon signe ? Et si ses anticorps réussissaient à repousser la maladie. Après tout, sa radio avait rendu l’âme depuis des mois et il n’avait aucun contact avec la civilisation. Peut-être que des humains étaient immunisés et capables de combattre naturellement l’affliction ?  

Cette réflexion alluma une petite flamme d’espoir dans son cœur. Ou n’était-ce qu’un leurre imaginé par son esprit pour fuir l’inévitable et refuser le suicide. Son bras tout entier semblait maintenant se rigidifier et une nouvelle douleur courrait sur sa peau, tout autour de la morsure. Le Mal, le vrai, celui qui corrompt la chair, pulsait sous son épiderme.  

Après une ultime tentative de se faire sauter le caisson, il abandonna l’idée.

NON ! Hurla-t-il dans sa tour d’ivoire. Le déni, la colère, la dépression… merde c’était quoi déjà les phases de deuil. L’ironie de passer par ces phases, de son propre trépas à venir.

Que pouvait-il faire ?

La bouteille de Jack Daniels, la dernière qu’il consommait avec parcimonie, lui donna une réponse. Tout le côté droit de son corps paraissait anesthésié, et fonctionnait au ralenti. Il déboucha ce qu’il considérait à présent comme du nectar divin et s’enfila une rasade. L’alcool lui brula l’œsophage et il se mit à tousser. Lorsque le whisky atterrit dans son estomac, une douleur insupportable le plia en deux et il cracha du sang. Cette saloperie d’infection lui refusait le droit à l’ivresse. Cette fois, le désespoir lui porta le coup de grâce.

Il se réfugia dans ses souvenirs. Les yeux fermés, il se rappelait son bal de promotion lorsqu’il réussit à combattre sa timidité pour inviter Katie à être sa partenaire et la joie inégalable lorsqu’elle accepta. Cette même euphorie quand elle répondit « oui » à sa proposition de mariage. Mais la vie leur avait refusé le bonheur et elle l’avait quitté quelques années plus tard. Il prenait sa part dans cet échec. Il chassa la fin de cette histoire pour se reporter sur d’autres vestiges heureux de sa vie.

Soudain, il se mit à saliver, en abondance, puis à baver sans contrôle. À nouveau, une quinte de toux le secoua, flanqué de gros bouillons de sang mêlé à une substance verte.

Il pourrissait de l’intérieur.

Il n’avait plus peur et observait son processus de pourrissement avec une curiosité morbide.

Tandis que le soleil perçait encore faiblement la frondaison autour de la clairière où il vivait, un rayon toucha le canon de son arme. Il tentait de maintenir la paix dans son esprit en attendant la fin. Mais son révolver restait une option à envisager. Il tendit le bras gauche pour l’attraper mais l’ordre donné par son cerveau fut refusé par son membre. Il ne maitrisait plus son corps. Il se balança sur le côté et réussi à se mettre sur le dos. Quelle meilleure position que celle adopté dans un cercueil.

La luminosité baissa. Sa vision aussi, et il ne se rendit pas compte lorsqu’il expulsa son dernier soupir.

Lorsqu’il ouvrit les yeux, il ne le sut pas.

Lorsqu’il se leva sur ses jambes raidit par la rigueur cadavérique, il ne le sut pas.

Et lorsque son unique fonction consista en cette obsession de chair humaine, il ne le sut pas plus.

Sam n’était plus.

 

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